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Cameroun : la santé est malade

La suspension des infirmiers, les circonstances floues du décès d’un avocat à la suite d’un accident de circulation suivi d’un transfert d’un centre hospitalier à l’autre, le malaise est profond et révélateur d’un système de santé à l’agonie

Le ministre de la Santé publique du Cameroun, Manaouada Malachi est sur les devants de la scène depuis le 16 janvier 2020 au moins, réagissant à travers son compte tweeter sur les évènements plus ou moins liés au domaine de la santé. Le 17 janvier, il annonçait avoir suspendu deux infirmiers de l’hôpital de district d’Obala,  qui ont publié sur les réseaux sociaux les photos de l’élève agressé à l’arme blanche par son camarade.  Un jour plus tard, il annonçait encore, par le même canal, que suite au décès de l’avocat Sylvain Souop survenu au Centre d’Urgence et de réanimation de Yaoundé, il venait d’instruire une enquête administrative, en même temps qu’il avait saisi l’Ordre national des médecins, pour connaitre les circonstances exactes de cette importante perte. Cet Ordre national des médecins s’était déjà auto saisi le 17 janvier 2020 du problème, et avait mis sur pied « une commission composée d’éminents spécialistes qui après investigation se chargeront d’apporter toutes les clarifications sur le plan technique sur les circonstances ayant entrainé ce drame. » Tout cela est indicateur de ce que la santé est malade au Cameroun, très malade même. La suspension des infirmiers, hors mis les questions que sont en droit de se poser les syndicats sur les procédures de sanctions, traduit que la formation du personnel de santé a encore un souci, au niveau éthique et déontologique.  De l’autre côté, l’effervescence autour de l’avocat Sylvain Souop soulève un problème sérieux, celui de la prise en charge médicale au Cameroun, au-delà des polémiques d’ordre politiciennes sur les causes de cette mort

Sous équipement

L’avocat est mort à Yaoundé, après avoir été victime d’un accident de circulation à l’entrée de la ville de Bafoussam, qui est la capitale régionale de l’Ouest. Une question est de savoir pourquoi il a été obligé d’aller au Centre d’urgence et de réanimation de Yaoundé pour les soins de sa fracture ? D’aucuns pensent que c’était par snobisme, mais d’autres, plus nombreux parmi lesquels les spécialistes, affirment que c’était pour avoir des soins appropriés, sous-entendu qu’à Bafoussam il ne les aurait pas eus. Comment est-ce possible en 2020, peut-on se demander. La ville de Bafoussam a l’une des 14 hôpitaux régionaux du Cameroun, classés en 3eme catégorie suivant les critères fixés par l’organisation structurelle et le fonctionnement organique des formations hospitalières et sanitaires du Cameroun. Un hôpital de 3eme catégorie étant supposé assurer les soins de chirurgie osseuse, de la prostate, du goitre, des résections d’organes, d’amputation de membre ou d’organe, de trépanation ou de certaines exploration d’organes, d’imagerie médicale comme le scanner  et de dialyse. Mais ça c’est sur le papier ou dans les textes. L’hôpital régional de Bafoussam, comme tous les autres hôpitaux régionaux est simplement à l’agonie, et nécessitent même des évacuations sanitaires. Pendant des années l’imagerie médicale est restée en panne dans cet hôpital public de Bafoussam, et les malades venant des 8 départements de la région, en plus de ceux venant de la région du Nord-Ouest ne trouvaient de solution à leur problème d’imagerie  que dans une clinique privée installée à la sortie de la ville. Dans cet hôpital, les services de dialyse n’ont jamais fonctionné d’après le témoignage d’un personnel de santé qui connait bien cette institution. A ce jour encore il n’existe pas d’ophtalmologue spécialiste ni à l’hôpital régional, encore moins installé en clientèle privé dans toute la région, les soins de tout problème lié à la vue sont encore assurés par des techniciens supérieurs en Ophtalmologie.

Profond malaise

Il faut dire qu’en réalité le problème de la prise en charge médical est plus profond que l’on ne l’imagine. Dans un document intitulé « Mise en œuvre du projet de la réforme hospitalière » publié par le ministère de la Santé publique le 12 mai 2016, on apprend : «contrairement à la période coloniale où l’on ne disposait que de 03 hôpitaux à savoir, l’hôpital Nachtigal de Douala (1896), l’hôpital Laquintinie de Douala (1931) et l’hôpital Central de Yaoundé (1933), la période d’après l’indépendance a vu se mettre en place progressivement plusieurs formations sanitaires. Il aura cependant fallu attendre 20 ans après l’indépendance pour voir s’ouvrir le Centre Hospitalier et Universitaire de Yaoundé (1981) puis l’Hôpital Général de Yaoundé (1987) et l’Hôpital Général de Douala (1988) avec entre autres pour mission de réduire les évacuations sanitaires à l’étranger. Or, au cours des 10 dernières années, ces évacuations sont passées de 54 en 2005 à 250 malades en 2015, et leurs coûts respectifs de 328 925 791 à 1 915 448 652 FCFA. »

Autrement dit, plus les institutions hospitalières sont construites au Cameroun, plus mal on est soigné, et les plus chanceux ou nantis sont évacués à l’étranger. Et les causes sont multiples. On parle généralement de mauvaise répartition géographique de ces institutions sanitaires sur le territoire national, qui ne répond pas toujours au besoin mais tient plutôt compte des considérations politiques. A côté de cela, la maintenance des équipements est aussi une tare non négligeable, du fait de l’acquisition du matériel sans au préalable former le personnel à son utilisation, en conséquence, un fusible grillé dans un appareil peut paralyser tout un hôpital pendant des années, en attendant que les experts soient dépêchés de la maison de fabrication quelque part en Asie ou en occident pour venir le remplacer.

Le malaise est profond en somme, dans le secteur de la santé au Cameroun, et les récents évènements survenus, en plus de coûter la vie aux populations risquent aussi d’être préjudiciables pour un pays qui se démène pour offrir une bonne image à l’extérieur et rassurer la Confédération africaine de football de sa capacité à accueillir la Coupe d’Afrique des Nations et en assurer toutes les exigences. Bafoussam est l’une des villes hôtes de la compétition désormais prévue pour le début de l’année 2021, et il n’est pas bon d’entendre qu’une fracture, fusse-t-elle de l’humérus confondue au fémur, ne puisse pas être efficacement prise en charge sur place. Et Au-delà des compétitions, les populations méritent que les institutions sanitaires soient mises à niveau pour elles aussi.

Roland TSAPI

 

 

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