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CRISE ANGLOPHONE : DE MAUVAISES SOLUTIONS AU VRAI PROBLÈME D’ÉCOLE

« Back to school ». C’est la campagne initiée depuis la fin du mois d’août 2019 pour le retour des enfants à l’école dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest Cameroun. Le gouvernement voudrait par-là inciter les enfants de ces deux régions à reprendre les classes pour la rentrée scolaire 2019/2020. Un article publié dans le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune le 02 septembre 2019, jour de la rentrée, remarquait que les réseaux sociaux sont intensément utilisés pour cette campagne, et relevait que dans la journée du 02 septembre le Premier ministre Dion Ngute en personne avait posté plusieurs tweets dans ce sens.

En substance, le Chef du gouvernement s’adressait en « pidgin » (un mélange de dialecte utilisé dans les régions anglophones), aux ressortissants de ces régions, à qui il disait que l’instruction est une bonne chose et qu’il fallait envoyer les enfants à l’école. D’autres membres du gouvernement et hauts responsables de la république font partie de la campagne, à l’instar du ministre de la Santé publique Manaouda Malachie, le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji, le gouverneur de la Région du Littoral Samuel Ivaha Diboua, le directeur général de la Cameroon Radio and télévision Charles Ndongo. Quelques joueuses de l’équipe nationale féminine de football ont également été sollicitées pour prêter main forte à la campagne, et présentaient des pancartes confectionnées à cet effet sur des images également publiées dans les réseaux sociaux, sur lesquels on peut lire « Open schools now .»

Casting hasardeux

Encourager les enfants à aller à l’école n’a rien de mauvais en soi, mais la façon dont cette campagne est menée laisse songeur, et il se pose la question de savoir si le gouvernement pense vraiment à en tirer quelque chose, ou si ce n’est une fois de plus que de la propagande.  

D’abord les acteurs de la campagne. Parmi ceux qui exhibent des pancartes, se prennent en photo et font des tweets, n’apparaissent pas les principaux concernés de l’éducation dans le gouvernement, à savoir le ministre des Enseignements secondaire et celui de l’Education de base. On croyait avoir mal regardé ou n’avoir pas tout vu, mais dans l’article de Cameroon Tribune, il n’est non plus fait mention d’eux. Pauline Nalova Lyonga et Laurent Serges Etoundi Ngoa bouderaient-ils une campagne pour la bonne marche des départements ministériels dont ils ont la charge ? N’ont-ils pas été associés, n’approuvent-ils pas les méthodes ou peut-être sont-ils en train de mener en souterrain d’autres actions jugées plus efficaces, pourquoi le ministre de l’Administration territorial s’active autant dans un domaine qui n’est pas le sien ?

Ensuite le lieu. La campagne telle qu’elle est menée, se fait loin, très loin des régions concernées, dans les bureaux à Yaoundé ou sur la toile. Comment peut-on être à Yaoundé et encourager les enfants à aller à l’école à Dikome Balu, Ekondo Titi, Bamusso, Eyumejock, Issangele pour ne citer que ces quelques localités ? On aurait souhaité voir le ministre de l’Administration territorial, qui rassure que tout va bien, assis dans une classe à Kombo Abedimo, Mamfé, Konye, Nguti, Mbonge et autres brandissant sa pancarte et demandant aux élèves de le rejoindre. Les images des lionnes indomptables appelant à la réouverture des classes auraient aussi été plus poignantes si elles avaient été prises entourées par des enfants qui s’amusent avec un ballon dans un stade à Akwaya, Tiko, Ndop ou ailleurs dans ces coins abandonnés, Il y aurait un peu de vraisemblable.

La charrue avant les bœufs

Enfin les méthodes dans cette campagne laissent dubitatif. D’après un rapport du Fonds des Nations Unis pour l’enfance (l’Unicef) non encore démenti par le gouvernement, plus de 4400 écoles ont été fermées ou détruites dans les régions en crise depuis 2017. Combien ont déjà été reconstruites ou restaurées pour cette rentrée scolaire ? Où les enfants iraient alors fréquenter, au cas où les parents voudraient les y envoyer ? le gouvernement est silencieux sur la question. N’aurait-il pas été mieux et plus rassurant que cette campagne back to school fasse voir à la nation des travaux de construction, de restauration et d’aménagement des salles de classes qui se font en toute sérénité dans ces localités ? Une fois de plus ici, les charrues sont placées avant les bœufs.

Solutions cosmétiques

Au demeurant, l’on constate simplement qu’au même moment où le gouvernement englouti des fonds publics dans une action au rendement plus qu’hypothétique, demandant aux parents d’envoyer les enfants dans des écoles qui n’existent plus, ces derniers quitte en masse ces régions pour d’autres villes du pays où ils espèrent avoir un peu de quiétude. Ce qui est une suite logique, ou le résultat auquel on devrait s’attendre quand on passe le temps à éluder les vrais problèmes et s’attaquer à la périphérie. Badigeonner une blessure avec du mercurochrome ne soignera jamais le mal disent les médecins. Casser le thermomètre n’empêche pas non plus la fièvre de monter. La couche de peinture que le pouvoir s’évertue à mettre sur la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest a déjà prouvé son inefficacité à masquer la rouille, et quand le gouvernement aura fini de contourner le problème, il comprendra enfin que ce n’est qu’autour d’une table que la solution sera trouvée. Et à ce moment personne n’aura besoin de faire une campagne pour que les enfants aillent à l’école, tout ira de soi.

Roland TSAPI

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