DÉMOCRATIE : 37 ANS DE STAGNATION ET DE RECUL SOUS BIYA
En 2019 comme dans les années 90, la démocratie est en souffrance au Cameroun. Le monolithisme que Paul Biya avait hérité d’Ahmadou Ahidjo s’est perpétué depuis 1982, et c’est au forceps que le pouvoir de Yaoundé a souvent fait quelques gestes timides vers la libération de l’espace politique.
6 novembre 1982, 6 novembre 2019, cela fait 37 ans que le Cameroun a Paul Biya comme président de la République. Beaucoup a été dit et continue être dit sur son bilan, et dans tous les domaines. Le constat reste cependant froid, c’est que sur le plan de la démocratie, le pays est désormais sous le coup des sanctions internationales pour non-respect du minimum, les droits humains. De quoi se demander pourquoi on en est là aujourd’hui, pourquoi le multipartisme souffre encore autant, sous l’ère de celui qui pourtant dit avoir apporté la démocratie au Cameroun ?
Héritage du parti unique
Dans une thèse de recherche intitulé « Analyse d’un discours politique présidentiel étude lexicométrique (Paul Biya, Cameroun, 1982 à 2002) Volume 1, présentée et soutenue par Claudine Ambomo le 17 juin 2013 à l’université de Franche-Comté en France, on a une esquisse de réponse, qui se trouve dans les premiers pas balbutiants vers l’ouverture politique, et ce depuis l’indépendance du Cameroun oriental. On y apprend en effet qu’ aussitôt après l’accession au pouvoir d’Ahmadou Ahidjo avec l’indépendance, le multipartisme parlementaire est interdit au nom de la stabilité et de la cohésion nationale. Il prône le pluralisme fermé, c’est-à-dire « l’expression autorisée d’une diversité politique au sein du parti unique.»
En 1982 il laisse le pouvoir et surtout un parti unique à Paul Biya, que ce dernier entend garder. A partir de la fin d’année 1989, deux principaux groupes qui continuaient de résister clandestinement au système monolithique, œuvrent pour le multipartisme autour d’Albert Mukong à Bamenda, et de Yondo Black Mandengue à Douala. Ils s’appuient sur l’article 3 de la Constitution de 1972 pour revendiquer l’instauration du multipartisme. Ces deux groupes se réunissent le 23 janvier 1990 à Douala pour mettre au point leur stratégie, mais les services secrets dirigés par Jean Fochivé sont au courant, et du 17 au 26 février 1990 plusieurs membres de ces deux groupes sont arrêtés dont Charles René Djon Djon et Yondo Black.
L’opposition prend son destin en main
L’arrestation de cet ancien bâtonnier et personnalité reconnue à Douala, fait grand bruit et ouvre le débat sur le droit de créer un parti politique. La question du multipartisme fait alors son entrée dans l’espace public. Le procès des membres des deux groupes est annoncé pour le 30 mars 1990, mais la mobilisation populaire de l’opinion nationale et internationale met en déroute le pouvoir, qui requalifie les faits reprochés aux prévenus, ils ne sont plus accusés d’avoir voulu créer un parti politique mais pour « atteinte à la sureté de l’État »
Créer un parti politique n’est donc pas un délit comme ils avaient tenté de faire croire en procédant aux arrestations. Pour mettre le pouvoir devant ses responsabilités, John Fru Ndi et Siga Asanga introduisent les dossiers de légalisation d’un parti politique, le Social Democratic Front. Entre temps l’avocat Yondo Black est jugé devant un tribunal militaire et condamné à la prison ferme. A ce moment-là déjà, Paul Biya refuse de voir le problème d’ouverture démocratique posé, et comme en 2019, il dénonce plutôt les « modèles et formules politiques importés de l’étranger », qu’il considère comme des « manœuvres de diversion, d’intoxication et de déstabilisation »
Le challenge
Mais le vent continue de souffler. Le 15 mai 1990, par voie de presse, les fondateurs du Sdf annoncent le lancement public de leur parti à Bamenda pour le 26 mai et appellent à une manifestation publique pour célébrer l’événement. Le rassemblement est interdit bien entendu, mais plusieurs milliers de personnes bravent l’interdiction à liberty Square de Bamenda, et se retrouvent pour célébrer la création d’un parti d’opposition. La police charge, 6 personnes tombent sous les balles, mais pour le pouvoir ils sont piétinés. A la suite de cette répression, le premier vice-président du Comité Central du Rdpc, John Ngu Foncha, après une visite à la morgue, contredit le gouvernement en affirmant la présence de blessures par balles sur les corps des victimes, et démissionne de ses fonctions quelques jours plus tard. La situation échappe déjà au gouvernement et au parti au pouvoir, des marches contre le multipartisme sont organisées partout sur le territoire national par les militants du Rdpc, dont l’une à Douala conduite par un certains Jean Jacques Ekindi.
Le pouvoir poussé dans ses derniers retranchements
Au cours du premier Congrès ordinaire du parti à la fin du mois de juin, Paul Biya parle des idéaux de démocratie et de liberté, évoque le renforcement de la liberté de la presse et la libéralisation de la loi sur les associations, et demande à ses militants de se préparer à une éventuelle concurrence. Il crée par la suite la commission Foumane Akame qui doit « faire l’état des lieux de la législation camerounaise sur les libertés et les droits de l’homme et suggérer aux gouvernements les révisions souhaitables », pour le processus institutionnel de la réinstauration du multipartisme au Cameroun.
Claudine Ambomo dit dans son ouvrage de recherche que « Paul Biya n’était pas initialement favorable au changement, le gouvernement était quasiment dépassé par les événements, surtout que l’opinion internationale condamnait globalement l’attitude du pouvoir. » Sous le poids de la contrainte, et s’appuyant sur les résolutions de la commissions Foumane Akame, il introduit des projets de lois à l’Assemblé Nationale au début du mois de novembre 1990. Ces lois sont adoptées et promulgués en décembre 1990, les fameuses lois du 19 décembre 90 sur les libertés d’association.
Entre temps il avait fait libérer Yondo Black, Anicet Ekane et autres, et c’est en père bienfaiteur qu’il prononce un discours le 3 décembre 1990, dans lequel il déclare triomphalement « Je vous ai amenés à la démocratie et à la liberté, c’est à vous qu’il revient désormais de faire en sorte que notre pays reste un pays libre. Vous avez maintenant la liberté, faites en bon usage. L’intérêt supérieur de notre pays est en jeu. » Deux mois plus tard en février 1991, suite aux lois adoptées le 19 décembre 1990, les premiers partis politiques sont légalisés, parmi lesquels le Sdf, L’Udc, l’Undp, l’Upc et autres, soit près de 25 partis de février à juin 1991. Une fois constitués, certains de ces partis se regroupent en Coordination nationale des partis de l’opposition et associations. Ils revendiquent la conférence nationale souveraine, que Paul Biya qualifie une fois de plus de sans objet et leur impose ce qui a été appelé le grand débat national, sans caractère contraignant. Ce qui en sortira c’est principalement la résolution de procéder aux réformes constitutionnelles et l’adoption d’un code électoral unique. Dans la Constitution de 1996 seront introduites quelques dispositions favorables au renforcement d’une société démocratique comme la limitation des mandats présidentiels, mais vites torpillées par le pouvoir qui dévoilait ainsi ses vraies intentions
En conclusion, si la démocratie peine aujourd’hui à se mettre en place, c’est simplement parce qu’elle n’a jamais été voulue, à chaque fois Paul Biya a été contraint de lâcher un bout de son pouvoir. Il n’ jamais voulu le pluralisme, il a été forcé de l’accepter, il n’a jamais voulu des modifications apportée dans la Constitution de 1996, elles lui ont été imposées, c’est pour cela que 12 ans plus tard il l’a fait modifier pour effacer la limite des mandats présidentiels, c’est pourquoi 23 ans après, il faut encore un grand dialogue national pour parler de la décentralisation qui y est inscrite, c’est pourquoi aujourd’hui encore, l’article 66 sur la déclaration des biens des gestionnaires de la fortune publique n’est pas appliquée, ouvrant les portes à toutes les gabegies et portant un coup fatal à la justice gage d’une véritable démocratie.
Roland TSAPI