Elections locales 2020 : le pouvoir envoie les électeurs dans le NoSo
Sous le prétexte de sécuriser les opérations électorales, le pouvoir envoie des hommes en tenues, qui d’après la loi voteront sur place. Pour qui ?
A l’approche de l’élection des députés et maires prévue le 09 février 2020, la situation est de plus en plus préoccupante dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où les violences n’ont pas cessé. Pas rassurant du tout pour les candidats à ces élections, et pour les électeurs potentiels. Dans la journée du 07 janvier 2020 encore, des affrontements violents ont été signalés dans la ville de Kumbo dans la région du Nord-Ouest. Des sources médiatiques indiquent que les des forces militaires, sans doute averties d’une attaque ou attentat qui se préparait dans un lieu public, ont investi le marché de la localité et obligé commerçants et clients à regagner leurs domiciles, et par la suite s’en ont suivi des affrontements violents avec les forces séparatistes. Ces récentes attaques des séparatistes viennent ainsi en rajouter à une situation déjà chaotique. D’après un rapport sur la situation sécuritaire dans ces régions, rendu public par le Groupement inter patronal du Cameroun Gicam en octobre 2019, la crise sécuritaire s’est traduite sur le terrain depuis juillet 2018 par la systématisation des opérations Ghost town et Lock down, les affrontements récurrents entre soldats et sécessionnistes, des incendies des établissements et bâtiments publics et privés, des enlèvements, voire assassinats des autorités publiques, des personnels des forces de sécurité, des autorités traditionnelles, des autorités religieuses, des populations civiles, la multiplication des initiatives et appels pour un retour à la paix, la démultiplication des mesures d’apaisement par le Gouvernement.
No man’s land
Le bilan de cette crise, sur le plan humanitaire, d’après plusieurs sources, y compris le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) fait état de ce qu’en mars 2019, 530 000 personnes étaient déplacées dans diverses villes du Cameroun, et 35 000 réfugiés au Nigéria, pour la plupart des femmes et des enfants. Sur le plan éducatif, le rapport du Gicam reprend le bilan présenté le 26 août 2019, par le ministre de l’Education de Base lors d’une conférence de presse. Il avait indiqué que sur 5 377 établissements publics d’enseignements primaire et maternelle opérationnels dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avant la crise, seulement 895 soit 16,6% étaient sous contrôle et en état d’accueillir des élèves. 4 482 étaient détruits ou fermés, ou encore transformés en base arrière pour les groupes armés. Bien de localités dans ces régions sont aujourd’hui devenues fantômes, des champs de ruines, dévastées et abandonnées. On a vu en octobre 2019, des autorités administratives nommées dans ces localités le 07 octobre, être installées devant un public constitués des seuls militaires ayant escorté le convoi.
Voilà l’état des lieux des localités, et le contexte dans lequel le corps électoral est convoqué pour le 09 février 2020. La situation n’est pas inconnue du pouvoir, qui après deux reports de ces élections locales, sans que rien ne change sur le terrain, veut désormais foncer tête baissée. Dans son message à la nation le 31 décembre 2019, le président Paul Biya a rassuré que « des dispositions sécuritaires ont été prises pour que, sur toute l’étendue du territoire, tous nos concitoyens puissent exercer leur droit de vote. Si cela s’avère nécessaire, elles seront davantage renforcées.»
Electorat
C’est sans doute dans ce cadre que depuis le 07 janvier 2020, un contingent de 350 gendarmes a été envoyé dans la région du Sud-Ouest, avec pour mission de maintenir la paix et garantir la sécurité avant, pendant et après les élections du 09 février 2020. Au-delà des chants de joie que ces jeunes et vaillants soldats de la république entonnaient à leur arrivée dans la capitale régionale Buéa, la situation est désormais bien dramatique. Un drame psychologique pour ces populations qui vivent la peur au ventre, et qui devront aller voter, protégés par les armes. Il va de soi que ce renfort va être intensifié avant la date même des élections, et davantage d’hommes vont être envoyés dans ces localités.
Mais là se pose un autre problème, celui de la participation au vote de ces hommes que l’on va envoyer protéger les autres. Où voteront-ils eux-mêmes, puisqu’ils ne résident pas dans ces localités et n’y sont pas inscrits sur les listes électorales, condition première pour voter ? Toute inscription sur les listes est suspendue dès la convocation du corps électoral, selon le Code électoral camerounais. Mais ce même Code précise dans son article 82 que « (1) Peuvent être inscrits sur les listes électorales en dehors des périodes de révision, sans conditions de résidence et lorsque ces mutations entraînent un changement de résidence : les fonctionnaires et agents des administrations publiques mutés ou admis à faire valoir leurs droits à la retraite après la clôture des délais d’inscription, ainsi que les membres de leurs familles domiciliés avec eux à la date de la mutation ou de la mise à la retraite ; les militaires démobilisés après la clôture des délais d’inscription. » L’article 83 dans ses alinéas 1, 2 et 3 précise que « Les demandes sont examinées par la commission de révision des listes électorales dans un délai de neuf jours, et au plus tard six jours avant la date du scrutin. Les décisions de la commission sont notifiées sans délai aux intéressés, la commission inscrit l’électeur sur la liste électorale ainsi que sur le tableau additif qui est publié au plus tard quatre jours avant la date du scrutin. »
C’est dire que les hommes de troupes envoyés dans les zones à risque auront tout le temps de se mettre en règle, si même ils en avaient besoin, pour voter. Mais si la question est ainsi réglée par le Code électoral sur le plan légal, il subsiste le problème de la légitimité. Ces hommes en détachement vont ainsi voter des hommes et femmes qu’ils ne connaissent pas, et qu’ils n’ont sûrement pas besoin de connaître. Après leur mission, ils reprendront le chemin retour, et laisseront derrière eux des conseillers et députés locaux élus par des étrangers, ou plutôt, pour emprunter au langage des faiseurs de loi au Cameroun, des autochtones élus par des allogènes. Mais tout cela ne compte pas, ce qui est important pour le pouvoir, c’est de montrer aux yeux du monde au lendemain du 09 février 2020 qu’il y a eu élection
Roland TSAPI