FRANCE AFRIQUE : LE PACTE COLONIAL REMIS AU GOÛT DU JOUR
Le revirement du gouvernement camerounais dans l’affaire de la concession du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala, rappelle que les accords coloniaux lient encore le Cameroun à la France sont plus que jamais en vigueur
« Il n’y a rien de caché qui ne doive être découvert, ni de secret qui ne doive être connu. C’est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu dans la lumière et ce que vous aurez dit à l’oreille dans les chambres sera prêché sur les toits», dit la bible dans l’évangile de Luc chapitre 12 verset 2 et 3. Les Camerounais sont plus que jamais témoins de la véracité de ces versets en cette fin du mois d’octobre 2019, avec la tournure que prennent certains évènements. L’une des choses qui leur a été cachée, dont personne ne parle dans le Gouvernement, qui ne fait pas partie du programme d’histoire enseigné ni au primaire, ni au secondaire et encore moins à l’université, c’est le pacte colonial. Il s’agit des accords signés entre les anciennes colonies françaises et leur ancienne autorité administrative, touchant les domaines comme le militaire, le politique, mais surtout l’économie. Ces accords signés juste avec les indépendances sont toujours en vigueur et appliqués à la lettre par ces Etats.
Les entreprises françaises d’abord
Les entreprises françaises d’abord
Au Cameroun ces accords ont été signés le 26 décembre 1959, quatre jours avant la proclamation de l’indépendance du Cameroun orientale. Précision importante à faire, au moment de la signature de ces accords, les conseillers camerounais qui étaient autour d’Ahmadou Ahidjo ont été écartés et seuls deux conseillers français sont restés sur la table au nom du Cameroun. Ainsi les accords ont été négociés et signés côté français par les Français, et côté Camerounais par le président Ahidjo conseillé par les Français. Pour le dire simplement, les Français ont signé entre eux des accords qui engagent le Cameroun, sans que les dirigeants de l’époque ne lèvent le petit doigt, s’ils en avaient même la possibilité. Ces accords contiennent 11 points essentiels, qui ne peuvent pas être tous évoqués ici, sauf celui qui est plus d’actualité, le 4eme point qui stipule que la priorité doit être accordée aux intérêts et à l’entreprise française dans les marchés publics et appels d’offre publics. En d’autres termes, si l’Etat Camerounais veut passer un marché public et qu’une entreprise française est parmi les soumissionnaires, il n’y a plus à réfléchir, le marché doit lui être attribué même si elle présente l’offre la plus chère.
Il faut reconnaître que depuis quelques années le Cameroun a tant bien que mal essayé de se soustraire de cette contrainte, en attribuant des marchés au chinois comme les barrages de Lom Pangar, Memvele, l’autoroute Yaoundé Douala entre autres, en se justifiant par le défaut d’argent et la capacité des entreprises chinoises à préfinancer les travaux à travers Eximbank China. Mais il faut relever que si la France a laissé faire, c’est parce que ces marchés nécessitaient de l’argent à investir. Mais quand il s’agit des marchés d’exploitation où pas grand-chose ne doit être investi, comme la concession du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala, cette France s’est levée pour rappeler au Cameroun que ces accords sont toujours en vigueur. Et avec une dose d’humiliation.
Bolloré après Bolloré au Port de Douala
A ce sujet, le 31 juillet 2019, le Secrétaire général à la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh adressait une correspondance au directeur général du Port autonome de Douala lui demandant de bien vouloir: « Accélérer le processus de sélection du nouvel opérateur, pour l’exploitation du terminal à conteneurs du Port autonome de Douala, continuer à exiger de Douala international Terminal non seulement le paiement des 24 milliards de Fcfa dus u titre des pénalités de stationnement évalués en 2016, mais également le montant collecté par DIT dans le même registre de 2016 jusqu’en 2019 .»
Cette correspondance dit en réalité que courant 2016, DIT du groupe Bolloré a collecté les pénalités de stationnement pour 24 milliards et n’a pas reversé cette somme à l’Etat à travers le Port autonome, mais en plus que cette pratique s’est étendue au cours des années 2017, 2018 et 2019. Si l’on suppose que la même somme est collectée chaque année, cela veut dire que Douala international terminal doit 96 milliards de francs Cfa au moins au Port autonome de Douala, et il faut préciser que les pénalités de stationnements c’est de l’agent que les importateurs payent avant de sortir leurs marchandises au Port quand elles ont séjourné au-delà de 11 jours. Donc ce n’est pas de l’argent qui doit sortir des caisses de DIT, il collectionne juste chez les clients, mais ne reverse pas à l’Etat selon les termes de la correspondance. C’est sans doute pour cette raison que le groupe Bolloré avait été écarté des soumissionnaires pour le nouveau contrat de concession, ce que confirme encore la correspondance de Ferdinand Ngoh Ngoh quand il parle de sélection du nouvel opérateur pour l’exploitation du terminal.
S’appuyant sur cette correspondance, le directeur général du Port autonome de Douala Cyrus Ngo rendait public le 16 septembre 2019 un communiqué, indiquant que le groupe italo-suisse Terminal Investment Limited est le nouveau concessionnaire du terminal à conteneurs du port de Douala à partir du 1er janvier 2020, et précisait que les discussions en vue de la finalisation dudit contrat, qui vise la rénovation, la maintenance et l’exploitation de ladite place vont débuter sans délai. Le lendemain 17 septembre un communiqué du Groupe Bolloré, maison mère du Douala International Terminal disait que le groupe «prend acte du communiqué de monsieur le directeur général du Port autonome de Douala relatif à l’adjudication provisoire de la concession du terminal à conteneurs à TIL », mais faisait tout de même état de ce que « Apmt et Bolloré, dont le consortium a été exclu irrégulièrement du processus de présélection ont déposé des recours devant le tribunal administratif de Douala. »
Le groupe Bolloré disait avoir saisi la justice et obtenu le 16 août 2019 un sursis à exécution de la décision du directeur général du Port autonome de Douala excluant les actionnaires de DIT, et se plaignait de ce qu’en dépit de cette ordonnance qui lui a été dûment notifiée, le Directeur général du Port a décidé de poursuivre le processus d’adjudication.
Le rappel du colon
On en était là quand le président Paul Biya est allé à Lyon en France, il a été reçu par le président français Emmanuel Macron. Ont-ils parlé de Bolloré exclu du Port de Douala, tout porte à le croire. Toujours est-il qu’une fois rentré, le président Biya a été suivi quelques jours après par le ministre français des Affaires étrangères Jean Yves le Drian. Ce dernier est arrivé au Cameroun comme un maître qui arrive dans son champ d’esclaves, est allé discuter avec Paul Biya, a ensuite fait asseoir sur la même table comme des enfants de l’école maternelle les hommes politiques qui se détestent amoureusement et qui ont crispé l’atmosphère depuis des mois.
Et surtout, l’ombre de l’homme blanc a fait sortir du Secrétariat général de la présidence de la république, une autre correspondance qui demande au directeur du Port autonome de Douala de suspendre purement et simplement le processus d’adjudication du terminal à conteneur du port de Douala. Ferdinand Ngoh Ngoh s’est subitement souvenu qu’il y avait une procédure introduite par Bolloré pendante devant le tribunal administratif du Littoral à Douala, et demande que le directeur du Port attende les conclusions. Pourquoi cette demande de suspension intervient 37 jours après le communiqué du Directeur général du Port, et coïncide avec la présence de Le Drian au Cameroun ?
Pour le comprendre, il faut simplement se rappeler le 4eme point du pacte colonial signé entre les français et qui engage le Cameroun, qui dit que la priorité doit être accordée aux intérêts et à l’entreprise française dans les marchés publics et appels d’offre publics. Le Drian est sans doute venu le rappeler au gouvernement camerounais, et surtout permettre que les Camerounais découvrent une fois de plus l’existence de ces accords cachés dont la mise en application est aussi source de leur mal vivre.
Roland TSAPI