JUSTICE : KAMTO ET L’EXIGENCE D’UN PROCÈS PUBLIC
Le procès de Maurice Kamto et ses soutiens politiques s’ouvre en principe ce 06 septembre 2019 au tribunal militaire de Yaoundé. En principe parce les accusés ont déposé par huissier de justice depuis le 02 septembre, une correspondance dans le bureau de la présidente de ce tribunal. On y lit: « Nous conditionnons notre comparution à la satisfaction de la demande suivante : la justice étant rendue au nom du peuple camerounais, outre le traditionnel public composé de militaires et d’autres éléments des forces de sécurité expressément réquisitionnés pour empêcher les citoyens d’être présents dans la salle d’audience, nous attachons le plus grand prix au libre accès du vrai public dans la salle d’audience durant toute la durée du procès, ainsi que l’autorisation d’accès à la salle d’audience des médias publics et privés, nationaux et internationaux. »
Le procès risque de buter sur cette exigence, car depuis l’arrestation des accusés le 26 janvier 2019, la justice militaire à qui l’affaire a été confiée et la Cour d’Appel font tout pour éviter un procès public, transformant ainsi l’affaire en ce qui est qualifié dans cette correspondance d’« authentique drame judiciaire à huis clos ». Le 2 avril 2019 déjà, Maurice Kamto avait refusé de prendre part à une audience à « huis clos » sur sa demande de libération. A son arrivée à la Cour d’appel du Mfoundi à Yaoundé où l’affaire devait être débattue, il avait selon l’un de ses avocats Me Emmanuel Sihm, fait comprendre au juge qu’il ne pouvait pas être entendu dans son bureau, avant de sortir pour être ramené en prison. « Nous avons signifié au juge que nous n’acceptions pas d’audience à huis clos parce que la loi ne le prévoyait pas, Les avocats ont quitté l’audience pour ne pas assister en spectateur à cette mascarade de justice. Le procureur a donc parlé seul devant son juge, il a demandé le rejet de notre appel. Ils ont tenu l’audience à deux, et maintenant on attend le verdict » avait confié l’avocat à la presse.
Patates chaudes
Il faut dire pour reprendre les propos d’un ancien colon français au Cameroun, que cette affaire Kamto est décidément un véritable caillou dans la chaussure de la justice camerounaise, ce qui justifie cette peur bleue qu’elle a de tenir un procès public. Le principal accusé, ses coaccusés et leurs avocats le savent et veulent jouer sur cette corde pour la tenir, et ont d’ailleurs rappelé dans leur correspondance que depuis leur arrestation, le ministère public qui les accuse n’a jamais été capable de produire les mandats d’arrestation, ni en instance ni en appel, et malgré cela le juge d’instruction a décidé de les maintenir en prison. Sans entrer dans les méandres de la justice, il convient en effet de relever que cette affaire avait été depuis le départ ficelée de sorte à laisser des failles les plus simplistes, sur lesquels l’étudiant en première année de droit s’arrêterait pour annuler la procédure. Pour qu’un citoyen se retrouve devant une autorité judiciaire il faut qu’il y soit amené, et le Code de procédure pénal définit le cadre dans lequel cela peut se faire, en parlant des mandats de justice, c’est-à-dire un acte écrit par lequel un magistrat ou une juridiction ordonne l’arrestation pour rester dans le cas d’espèce.
A l’article 26 on lit que « tout mandat, à l’exception des mandats d’extraction, précise les noms, prénoms, date et lieu de naissance, filiation, profession et adresse de la personne concernée, il est daté et signé par le magistrat l’ayant décerné, et es revêtu de son sceau. » L’article 31 précise que « sauf cas de crime ou de délit flagrant, celui qui procède à une arrestation doit décliner son identité, informer la personne du motif de son arrestation et le cas échéant, permettre à un tiers d’accompagner la personne arrêtée afin de s’assurer du lieu où elle est conduite. » Il est de notoriété publique que rien de tout cela n’a été respecté dans l’arrestation de Maurice Kamto et ses coaccusés. Il est important de le rappeler, parce qu’au-delà de Maurice Kamto, c’est le sort qui peut être réservé, s’il ne l’est pas déjà, à tout Camerounais qui se joue devant le tribunal militaire à Yaoundé.
Tous les Camerounais doivent savoir que ces dispositions existent, qu’un agent de force de l’ordre ne doit pas débarquer chez lui comme il veut et l’embarquer au commissariat ou à la gendarmerie juste parce qu’il porte la tenue. Il doit lui montrer un mandat, pas une convocation mais un mandat qui porte son nom, prénom, date et lieu de naissance, filiation, profession et adresse. Il doit en plus se présenter gentiment, et l’informer du motif de l’arrestation. Surtout, les Camerounais doivent savoir que d’après l’article 23 du Code de procédure pénale, « l’officier de police judiciaire chargé de l’exécution d’un mandat ne peut à cette fin s’introduire dans une résidence avant 6 heures et après 18h. »
Plus important encore, l’article 3 de ce Code dit « alinéa 1, la violation d’une règle de procédure pénale est sanctionnée par la nullité absolue lorsqu’elle préjudicie aux droits de la défense définies par les dispositions légales en vigueur, ou porte atteinte à un principe d’ordre public, alinéa 2, la nullité prévue au paragraphe 1 du présent article ne peut être couverte. Elle peut être invoquée à toute phase de la procédure par les parties, et doit l’être d’office par la juridiction de jugement. »
Violations quotidiennes
C’est ainsi écrit à l’article 3, c’est dire qu’il ne faut pas aller loin dans cette loi pour la lire, c’est à la première page. Et en restant dans la loi, même un juge sorti de la dernière promotion de l’Ecole Normale de la Magistrature prononcerait la nullité de cette affaire. Si ces dispositions légales étaient respectées il va de soi que beaucoup de Camerounais qui croupissent dans les prisons et les cellules ne devraient pas y être, on aurait déjà constaté qu’ils ont été embarqués une nuit, un soir, un matin sans aucun respect de procédure.
Ce sont ces manquements basiques que Maurice Kamto et ses coaccusés voudraient qu’ils soient exposés aux yeux du monde à travers les médias, comme ce fut le cas lors des audiences du contentieux électoral, même si cela n’est pas retransmis en direct. Mais le pouvoir pourra-t-il commettre la même erreur deux fois ? Wait and see.
Roland TSAPI