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LIBÉRATION DES DÉTENUS : FAUT-IL EN RIRE OU EN PLEURER

Faut-il en rire ou en pleurer ? Un sentiment  mitigé anime en ce moment nombre de Camerounais à la suite du développement de  l’actualité  de ces derniers jours, notamment les vagues de libération des détenus par le président de la république, ce alors qu’on s’y attendait le moins.

Tout commence le jeudi 03 octobre 2019 au soir, alors que le grand dialogue national entamé deux jours plus tôt tire à sa fin. Un communiqué du secrétaire général à la présidence de la République Ferdinand NgohNgoh informe l’opinion nationale et internationale que le président de la république a décidé de l’arrêt des poursuites pendantes devant les tribunaux militaires contre certaines personnes arrêtées et détenues, pour des délits commis dans le cadre de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Le nombre est fixé à 333.

Le lendemain vendredi 04 octobre, alors que des audiences spéciales se tiennent dans les tribunaux militaires un peu partout dans le pays pour mettre en exécution cette décision, un autre communiqué est rendu public, signé toujours par le SgPr, qui informe que le Président de la république décide cette fois de l’arrêt des poursuites contre certains responsables et militants du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun. Décision mise en application le lendemain samedi 05 octobre, avec la libération de Maurice Kamto, ses soutiens politiques et une centaine des militants du parti.

Décrispation

Dans les deux cas, la décision est justifiée par la volonté constante du Chef de l’Etat de promouvoir un climat de paix, de fraternité et de concorde entre les fils et filles du Cameroun, propice au développement socio-économique de notre pays. On n’attend pas plus d’un président de la république en effet. Mais le timing de ces décisions et leur caractère partiel amènent à se poser légitimement la question de savoir si cette volonté de promouvoir un climat de paix est vraiment constante.

On n’a pas oublié les cris de cœur poussés tant de l’intérieur que de l’extérieur depuis trois ans au moins, allant dans ce sens.On n’a pas oublié les multiples déclarations de la société civile, des partis politiques, des ONG internationales, du Parlement européen, de l’Union africaine et d’autres partenaires, appelant à la libération des détenus tant dans le cadre de la crise anglophone que de la crise post-électorale. On n’a pas non plus oublié que les consultations en prélude au dialogue ont donné l’occasion aux partis politiques, acteurs de la société civile et autorités traditionnelles de réitérer ces demandes, mais le dialogue a commencé sans que cela soit fait, alors que ce geste aurait installé un climat de confiance au cours des débats. Pourquoi donc libérer juste après le dialogue, alors qu’il pouvait bien le faire avant afin de donner une meilleure chance au dialogue ? Est-ce à dire que les propositions faites lors des consultations lui seraient parvenues après que le dialogue ait commencé, alors qu’il était disposé à y répondre favorablement.

Responsable ou coupable ?

Mieux vaut tard que jamais dans tous les cas, et surtout cela fait au total plus de 400 Camerounais  qui ont recouvré la liberté. Une liberté qui n’aurait jamais dû être confisquée, en tout cas pas pendant aussi longtemps  si un minimum de procédure était respecté, et si les agents des forces de l’ordre n’avait surtout pas fait preuve parfois d’excès de zèle.Les décisions du président viennent comme pour remettre les choses en ordre, et c’est à se demander si c’est lui qui a toujours été l’initiateur des actes qui ont conduit à cette crispation sociale et politique. 

Est-ce le président Biya qui a demandé aux administrateurs civils d’interdire systématiquement les manifestations de rues, qui sont une forme d’expression des libertés fondamentales garanties par la constitution ? Est-ce lui qui donne l’ordre à la police d’utiliser des méthodes non conventionnelles pour disperser une marche, en tirant sur les jambes des manifestants, est-ce lui qui instruit aux enquêteurs de procéder par la torture et le dol pour obtenir des aveux, comme le dénonçait l’ordre des avocats dans une résolution de fin août 2019 ? Les prolongements interminables des gardes à vue, les transformations des gardes en vue en détention préventive, tout cela est-il dicté par le président Paul Biya, ou par des personnes dans son entourage qui lui font porter le chapeau ? Si le chef de l’Etat était l’instigateur, autant ses services rendent publics les communiqués de la libération, autant ils auraient dû rendre publiques les hautes instructions qui donnaient  l’ordre de procéder à ces arrestations, et l’on serait plus fixé.

Ange ou démon ?

En tout état de cause, initiateur ou pas, il reste le premier responsable depuis le début, étant le seul garant des libertés individuelles et collectives. Le fait qu’il décide d’ordonner l’arrêt des poursuites  aujourd’hui est la preuve qu’il pouvait également empêcher qu’on en arrive là, pour les mêmes raisons qui sont évoquées dans les communiqués. Tout le monde y aurait gagné, l’Etat aurait économisé cet argent dépensé dans les procédures, les avocats seraient occupés à autre chose, les détenus auraient vaqué à leurs occupations et contribué chacun à sa manière à la construction de la nation.

A l’annonce de ces décisions, un jeune camerounais de 22 ans a eu cette réaction: « le système veut dissimuler des arrestations abusives, pour aujourd’hui faire valoir la magnanimité de Paul Biya qui veut qu’on le prenne pour un médiateur soucieux et transparent, à travers  l’acte de libération qu’il vient de poser. Chaque  jeune Camerounais ne doit même pas  entrevoir de penser qu’il mérite des applaudissements. » Cette réaction nous ramène à la question initiale. Doit-on rire de ce que les détenus sont libérés, ou doit on pleurer qu’au 21eme siècle au Cameroun, les droits civils et politiques sont encore autant piétinés, de sorte que  leur sauvegarde ne tienne qu’à la volonté d’un homme ?

Roland TSAPI

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